D’architectures N°280

Publié le 16 juin 2020

L’enfer, c’est les autres (le paradis aussi)

De la révolution industrielle au règne d’internet, le management aura été une recherche effrénée de la réduction à leur plus élémentaire fonctionnalité des flux de produits et de services ou des flux relationnels entre individus. Cette quête d’efficience – plus vite, moins cher – motivée par l’obsession du profit maximum se traduit par des stratégies visant à économiser toujours plus de temps et d’espace. Dans un environnement surchargé de sollicitations, travailler seul depuis chez soi, tout en étant hyperconnecté numériquement aux autres, pourrait donc apparaître comme l’aboutissement de l’idéal de la rationalité managériale.

Après les excès du fonctionnalisme, les architectes ont réappris que l’espace de travail ne peut se réduire à un lieu uniquement déterminé par des besoins quantifiés selon leur plus stricte nécessité. L’expérience du confinement aura sans doute aussi le mérite de montrer que même s’il est désormais possible, par fichier ou confcall, de communiquer avec le reste du monde sans bouger de sa chambre, la présence physique de l’autre, partenaire ou client, agréable ou non, ne se réduit pas à la somme d’informations qu’il se doit de produire. Il en va peut-être ainsi de l’espace virtuel de travail (le télétravail) comme de l’espace de travail. Passé le premier moment d’étourdissement du début du confinement puis le doux plaisir de la tranquillité domestique – aller au frigo se prendre une petite bière ou un ice-cream entre deux confcalls (quand il n’y a pas des commandos d’enfants survoltés à gérer) –, quelque chose d’indicible et de non quantifiable semble manquer.

Les architectes n’avaient pas besoin du confinement pour prendre conscience que le plaisir d’habiter un lieu dépend d’une infinité de subtilités non réductibles à des jeux de protocoles d’échanges ou de space planning. De même, si les formidables outils de communication d’aujourd’hui paraissent répondre à tous les besoins d’échanges au sein d’une équipe de maîtrise d’œuvre, l’expérience du confinement solitaire, par l’absence de relation physique directe qu’il impose, révèle par défaut l’importance du jeu de relations affectif qui s’instaure autour d’une table de travail.

C’est peut-être pourquoi l’atelier des architectes, pour lesquels le travail d’équipe est déterminant, n’est pas un bureau comme les autres. Nous vous en faisons découvrir quelques-uns ce mois-ci, en espérant qu’ils redeviennent rapidement la ruche qu’ils étaient il y a encore trois mois.

Emmanuel Caille

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